Homélie de Sa Béatitude le Patriarche Card. Béchara Boutros RAI – Lundi de Pâques – Messe Pour La France
نشاط البطريرك
Madame l’Ambassadrice
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Depuis l’Aube du christianisme, les baptisés au nom du Seigneur ont pris l’habitude de se saluer au matin de Pâques, en se disant les uns aux autres : « Christ est ressuscité, vraiment ressuscité ». Nous voudrions nous aussi vous saluer, Madame l’Ambassadrice, avec ces mêmes termes, en ce matin du lundi de Pâques, où nous célébrons en ce Patriarcat, avec Votre participation et celle de Vos collaborateurs, une Messe traditionnelle aux intentions de votre noble et grand Pays, la France, son Président et gouvernement et son peuple.
Si les chrétiens tiennent, depuis des siècles à cette formule de salutation, c’est parce qu’ils croient que la résurrection du Christ d’entre les morts, est le fondement même de leur foi, de leur vision du monde et de l’humanité dans sa marche vers son accomplissement. En effet, selon les Evangiles et l’enseignement de Saint Paul, la vie du Christ ne lui a pas été arrachée de force, mais c’est lui qui l’a donnée pour notre Rédemption et pour le renouvellement de la création devenue par elle-même incapable de se libérer de ses péchés et de triompher de son mal. Saint Paul est allé même jusqu’à dire que le Christ Jésus est devenu le nouvel «Adam» par lequel l’humanité rachetée est appelée à se former et se transformer.
Grâce à la Résurrection du Christ, la croix est devenue elle-même le pont qui nous donne accès à la réconciliation avec Dieu, à celle souhaitée entre tous les hommes et tous les peuples, pour retrouver leur fraternité perdue et jouir dans leur vie d’une paix profonde et véritable.
Le Christ a triomphé du mal, prenant en charge de changer en nous l’homme ancien et nous faire revêtir l’homme nouveau. Mais ce triomphe, qui est d’abord personnel dans le Christ, est appelé à se généraliser, jusqu’à englober toute l’humanité, bâtissant ainsi le royaume de Dieu. Ce triomphe a également besoin de chacun d’entre nous en devenant les uns et les autres des artisans de paix. C’est là où nous trouvons le sens profond de notre baptême dans le Christ. C’est là aussi où nous puisons nos forces pour faire de notre vie une mission au service de la fraternité et de la paix à accueillir de la personne même du Christ. Il nous enseigne par ces actes que la fraternité est le fondement de la paix.
La Bible nous donne une belle leçon concernant cette grande idée de fraternité, laquelle est chère à tout le genre humain, elle est si chère aussi à la France qui l’adopte avec la liberté et l’égalité dans son emblème national. Mais ce qui frappe, , c’est le fait cité dans les Écritures nous rapportant que le premier frère dans l’histoire a tué son frère. Il s’agit de Caïn qui a mis a mort son frère Abel, sous prétexte que Dieu aurait accepté l’offrande de son frère plutôt que la sienne.
Nous tirons de cet enseignement la conclusion que la fraternité qui est une idée exaltante, et même parmi les plus belles idées du monde, doit s’incarner dans la réalité et dans les faits, qu’elle est à bâtir et à rebâtir, toutes les fois que le besoin s’en ressent, par la bonne volonté de tous. Caïn aurait répondu à Dieu qui lui demandait où était son frère, en utilisant cette formule, aberrante et légère : «Suis-je le gardien de mon frère» ? Dieu dit en fait à chacun d’entre nous que nous devons tous être les gardiens de nos frères, que nous sommes tous responsables les uns des autres. Sinon, et dans l’absence de la solidarité, il n’y a plus de monde qui tienne, ni de vie qui puisse retrouver la paix.
Jésus a inversé la logique de Caïn qui avait tué son frère, en voulant lui-même mourir pour ses frères et se sacrifier pour leur donner de vivre et d’être sauvés. Il était venu en fait, non pour dominer ni pour réduire autrui à l’esclavage, mais pour être le Serviteur de ses frères, voué pour eux jusqu’à la mort. Il est ainsi devenu le modèle que nous devons suivre, si nous voulons avec lui créer un monde pacifique et fraternel.
C’est ici que nous trouvons la clé d’explication de ce qui se passe dans notre monde, de toutes les tragédies sanglantes qui remplissent le parcours de l’histoire, en Orient comme en Occident. Ce qui se passe dans l’expérience humaine, c’est un déroulement continu de luttes entre la domination et la solidarité. Autrefois on parlait de la dialectique du maître et de l’esclave. Pour nous il faut casser cette dialectique et la remplacer par un combat à sens unique contre la domination en faveur de la fraternité, d’opter pour le choix de la solidarité et de l’inclusion au lieu de l’inimitié et de l’exclusion.
Le Seigneur Ressuscité nous invite à remettre les pendules de notre espérance à l’heure. Il remplit de joie nos cœurs et de force nos volontés. Il renouvelle son appel que nous devenions réellement des frères et sœurs et de promouvoir la fraternité tant bafouée par tous les Caïns du monde. Il nous propose de redresser le cours de l’histoire en œuvrant en faveur du royaume de Dieu. Il nous rappelle également qu’il est prêt à nous venir en aide quand nous le voudrons et tant que nous le voudrons. Il est prêt à secourir les chefs du monde qui osent opter pour la paix, comme il soutiendra tout soldat inconnu qui mène à son niveau le même combat.
Mes frères et sœurs, soyons certains que ce n’est pas l’économie qui va sauver le monde, elle risque plutôt de le déchirer davantage. Le salut du monde viendra plutôt des valeurs d’amour, de solidarité et de justice qui seules sont capables de donner un sens à toutes nos vies.
Nous savons bien, Madame l’Ambassadrice, combien la France œuvre aujourd’hui pour la paix en Europe et dans notre région si déchirée, combien elle répond ainsi à la promesse de son baptême. Nous prions pour elle afin qu’elle demeure la figure de proue dans tout combat pour la liberté, les droits des personnes et des peuples sur toute la terre. Prions aussi pour le Liban, et demandons par la grâce de Dieu que notre pays puisse renaître comme toujours de ses cendres, et retrouver la place qui est la sienne dans la région et dans le monde.
Soit loué Jésus-Christ
Amen.